Le Dinosaure Jardinier

Dans les forêts tropicales humides du Nord-Est de l’Australie, une ombre glisse entre les arbres. Dissimulé derrière un rideau luxuriant, le jardinier est à l’œuvre. Vêtu de son plus beau costume, il répète jour après jour un numéro bien rodé : du bout du bec, saisir le fruit, l’avaler tout rond, faire quelques pas, puis recommencer. Préparez-vous, l’un des plus vieux oiseaux du monde entre en scène.

Fraîchement arrivés sur la terre des casoars à casque, dans le parc national de Djiru, nous entamons les repérages sans tarder. Notre enthousiasme est à son comble et nos sens, décuplés. Nous parcourons silencieusement les sentiers, sursautant au moindre bruissement dans les fourrés. Mais nous sommes cernés par un enchevêtrement dense de lianes et de fougères. Comment savoir ce qui se cache derrière cet impénétrable mur végétal ? Réussir à surprendre le casoar ici ne sera pas une mince affaire…

« 16/09/19 – Djiru National Park

Je me fige, Aurore fait de même. Quelques secondes passent. Soudain, je l’entends de nouveau : un grondement sourd, profond. Suivi de deux pas lourds… Il y a quelque chose à notre droite, et c’est gros ! Aurore me lance un regard interrogateur ; à peine le temps d’esquisser un autre mouvement qu’une patte griffue sort de l’ombre : le casoar est là ! »

Cette première rencontre est aussi soudaine qu’inespérée. Nous avions imaginé arpenter les sentiers du parc des heures durant, rentrer bredouille, recommencer. En lieu et place, il vient à notre rencontre !

« 16/09/19 – Djiru National Park

En le voyant sortir du couvert des arbres, je me recroqueville au bord du chemin, le cœur battant, les doigts crispés sur l’appareil photo. Rémi fait de même, le casoar, lui, continue sa route sans même un regard. Il est superbe ! Un plumage d’un noir de jais, la tête d’un bleu éclatant, un casque proéminent porté avec fierté, le tout orné de caroncules écarlates… Un véritable soldat en apparat ! »

Au fur et à mesure des rencontres, nous nous familiarisons avec la bête. Notre voyage dans le temps commence…

« 28/09/19 – Djiru National Park

J’entends une brindille craquer à quelques mètres de nous. Aurore prend position à droite du sentier, je m’assoie de l’autre côté. Un casoar s’engage prudemment sur le chemin puis marque un arrêt. Le son du déclencheur nous a trahi… Il ne semble pas inquiété, mais plutôt curieux. Difficile de savoir qui observe qui ! Pendant plusieurs minutes, il se rapproche, si bien qu’il finit par envahir la totalité de l’image. Ce n’est qu’en sortant l’œil du viseur que je réalise qu’il ne se tient qu’à quelques mètres de moi…»

Au premier regard, une telle créature ne peut être que préhistorique ! Parfaitement adapté à son milieu malgré sa silhouette trapue et sa taille imposante, le casoar se fraye aisément un chemin au beau milieu d’un dédale de racines et de branches. Campé sur deux pattes solides, il fouille le sol à l’aide de ses pieds puissants. Son allure évoque indubitablement celle d’un dinosaure.

On croirait l’une des maquettes de Spielberg… sans les dents ! L’évolution nous donnerait presque raison ; le casoar appartient à la famille des ratites, des oiseaux non volants, dont les premiers fossiles australiens remontent à 180 millions d’années. Ce côté dinosaurien ne fait que renforcer l’image du « terrible volatile ». Doté d’une griffe acérée sur le doigt intérieur, il serait considéré comme l’oiseau le plus dangereux du monde. S’il est vrai que, d’un coup bien ajusté, l’animal est capable de tuer un homme, les accidents graves sont rares et résultent, le plus souvent, d’une attitude inappropriée de la part des victimes.

« 03/10/19 – Etty Bay

A peine arrivée, je remarque les grosses traces de pattes imprimées dans le sable humide. Quelques personnes sont rassemblées sur la plage. Je comprends vite la raison d’un tel attroupement, un jeune casoar semble particulièrement intéressé par leur déjeuner et n’hésite pas à « poursuivre » les enfants sous les yeux effarés de leurs parents ! »

A Etty Bay les casoars ont perdu leur méfiance naturelle envers l’Homme, ce qui les rend particulièrement intimidants. Ils n’hésitent pas fouiller le moindre sac de plage à la recherche de nourriture. Un comportement tout à fait inhabituel, la majorité d’entre eux sont de timides et discrètes créatures.

De mai à novembre, mâles et femelles quittent leur statut de célibataires endurcis et se regroupent pour la saison de reproduction : c’est le moment idéal pour observer des couples !

« 07/10/19 – Djiru National Park

Je traine un peu à l’arrière pour immortaliser le paysage forestier, puis, alors que je retourne sur le sentier, j’aperçois Aurore immobile contre un arbre. Dans son dos, elle me montre une main, deux doigts tendus. Il faut croire que la chance est avec nous, ce n’est pas un, mais deux casoars qui s’avance timidement sur le sentier ! Le spectacle se répète par trois fois dans la même matinée, à chaque fois avec des couples différents. »

Malgré son apparence archaïque, le casoar est plutôt avant-gardiste puisque c’est le mâle qui a la charge exclusive de la progéniture. C’est un véritable cœur tendre qui se cache sous ses plumes. Cependant, gare à ne pas irriter « papa-poule » en présence de ses petits ou sur son nid, au risque de le voir jouer les vélociraptors !

A force de patience, nous commençons à reconnaitre les indices de présence, voire les individus eux-mêmes. Cependant un œil exercé n’est pas indispensable pour repérer la preuve numéro un : les excréments.

« 15/10/19 – Djiru National Park

Je réalise aujourd’hui que je passe mes journées à chercher des crottes de casoars plus que les casoars eux-mêmes. De son côté, Rémi tente d’estimer la date de passage de l’oiseau en observant l’avancement de la germination des graines dans ces petits tas violet rempli de fruits plus ou moins digérés… »

Glouton, le casoar passe la majeure partie de son temps à écumer les sous-bois à la recherche de graines tombées au sol. Il peut même effectuer des sauts acrobatiques de plus de 1.5 mètres de hauteur pour attraper un fruit hors de portée ! En parcourant plusieurs dizaines de kilomètres par jour, il constitue ainsi un formidable moyen de dispersion à longue distance pour de nombreuses espèces d’arbres. Il est en quelque sorte, le jardinier du Queensland.

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