Kekeno, le Rocher à Fourrure

L’une des particularités écologiques de la Nouvelle-Zélande est la quasi absence de mammifères terrestres natifs. En effet, si l’on omet trois espèces de chauve-souris, la totalité des espèces aujourd’hui présentes sur le sol néo-zélandais ont été apportées par l’homme lors des différents épisodes de colonisation du pays. En revanche, il n’en va pas de même pour l’habitat marin : près de la moitié des cétacés (baleines, dauphins et marsouins) présents dans nos océans sont familiers des eaux néo-zélandaises (notamment une espèce endémique, le dauphin d’Hector, Cephalorhynchus hectori).

De toutes les espèces de mammifères marins visibles en Nouvelle-Zélande, l’otarie à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri) est probablement la plus simple à observer. Semblable au lion de mer de Nouvelle-Zélande (Phocarctos hookeri), on la distingue par sa plus petite taille et son museau pointu.

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Otarie à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

Cette otarie est présente dans l’ensemble des eaux côtières du pays ainsi que sur la côte sud de l’Australie. Si l’effectif de la population s’élève aujourd’hui à quelques 200 000 individus et continue d’augmenter, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, autrefois convoités pour leur fourrure, de nombreux individus ont été abattus entre le XVIème et le XVIIIème siècle (près de 930 000 peaux ont été exportées des ports australiens et néo-zélandais pendant cette période) menant l’espèce au bord de l’extinction. Les restrictions de chasse misent en place à partir de 1875 ainsi que l’établissement de l’Acte de Protection des Mammifères Marins de 1978 ont depuis permis une augmentation annuelle de 25% de la population entre 1882 et 1994.

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Otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

Notre première rencontre avec les otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande s’est déroulée à Cape Palliser. Le littoral rocheux de la Palliser Bay constitue un habitat favorable à cette colonie qui s’avère être la plus importante de l’île du Nord.

A première vue cependant, les otaries passent inaperçues malgré une taille pouvant atteindre jusqu’à 1,5m pour les femelles et jusqu’à 2,5m pour les mâles.

Leur capacité de camouflage leur vient sans nul doute de deux éléments clés : la couleur de leur fourrure (gris-brun foncée, plus claire sous le ventre) et leur attitude oisive (animal mort ?), toutes deux mimant à la perfection leurs reposoirs favoris que constituent les rochers.

Par chance, il arrive que les otaries aient à se déplacer (ne serait-ce que pour changer de côté, à la manière de vacanciers sur leur serviette de plage) ; c’est à ce moment qu’un œil attentif pourra les repérer. Ainsi, une promenade sur la plage nécessite une attention constante et aiguisée, car il n’est pas rare de ne remarquer la présence de ces mammifères qu’au dernier moment. Et bien que les recommandations néo-zélandaises préconisent de ne jamais se tenir entre un individu et l’océan et de respecter une distance minimale de 10 mètres, nous avons pu constater qu’un « rocher » sur lequel on s’apprêtait à poser le pied pouvait s’avérer être particulièrement bruyant et nerveux lorsque notre attention se relâchait.

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Otarie à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

Suite à de nombreuses heures d’observation et à des reportages photographiques pour le moins fournis, nous nous sommes familiarisés avec ce mammifère qui n’est finalement pas si flegmatique. Lors de notre visite hivernale, les individus présents étaient principalement des femelles adultes et des jeunes de l’année. L’hiver néo-zélandais constitue une période de croissance pour les jeunes pendant laquelle une grande partie de leur temps est consacrée au jeu. Que ce soit avec d’autres congénères, des algues ou de petits poissons de récif, les jeunes otaries s’ébattent durant des heures sur la plage et dans l’eau, à grand renfort de cris et de grognements.

Ces comportements favorisent probablement l’apprentissage de compétences essentielles à leur survie telles que la capture de proies ou la fuite face à un prédateur. Pour les adultes, l’hiver est une période d’alternance entre des périodes de recherche de nourriture (jusqu’à 20 jours sans sortir de l’eau) et de repos (un à deux jours sur les rochers), où les femelles allaitent leurs jeunes.

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Otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

En comparant le comportement des otaries à fourrure dans l’eau et sur terre, on remarque vite que leur maladresse terrestre est largement compensée par leur habileté marine. Les otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande peuvent en effet plonger plus profondément et plus longtemps que n’importe quelle autre espèce d’otarie ; ainsi des femelles de la côte ouest de l’île du sud sont connues pour plonger occasionnellement à plus de 230m de profondeur, restant immergées plus de 10 minutes.

Ainsi elles ne restent jamais bien loin de l’eau, refuge salvateur contre le promeneur innocent. Toutefois, il nous est arrivé à plusieurs reprise de surprendre des individus dans des postures pour le moins acrobatiques. Coincés dans une falaise, en équilibre sur un rocher pointu, comme pour prouver au monde qu’elles sont capables, elles aussi, d’effectuer des prouesses en varappe vertigineuse. Les jeunes sont plus prompts à ce genre de défis, et si l’ascension est en générale fructueuse, la descente reste plus hasardeuse et se solde souvent par des gadins mémorables.

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Otarie à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

Ce côté « double-face » peut aussi être appliqué à l’apparence de l’animal, un profil racé, le museau fin, la fourrure lisse, le corps profilé … Tout s’effondre lorsqu’une otarie décide de se montrer de face, on découvre alors les yeux proéminents, le museau trop relevé et cette bedaine pataude.

De même si une colonie d’otarie vous semble, à première vue, être un lieu ravissant de rencontre avec un animal sauvage et secret, vous allez vite déchanter. Une colonie d’otarie, c’est un tas d’animaux flemmards qui braillent, toussent et surtout, qui puent ! Un régime alimentaire composé essentiellement de calmars, maquereaux, anchois, parfois de plus gros poissons et d’oiseaux marins (Willis, Triossi & Meynier ; 2008), ne peut être sans conséquence sur le bouquet proposé.

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Otaries à fourrure de Nouvelle-Zélande (Arctocephalus forsteri)

Mais il faut l’admettre, ces otaries sont attachantes. Plutôt craintives par le passé, elles ont su s’habituer aux bipèdes qui les observent longuement durant leur sieste. Ainsi, en prenant le temps, il est relativement aisé de se faire oublier et d’éviter un dérangement inutile voire néfaste (Boren, Gemmell & Barton ; 1970).

Nous avons ainsi totalisé une dizaine d’heures d’observation uniquement sur la colonie de Cape Palliser, des heures passées à immortaliser l’instant bien sûr, mais pas seulement. Notre passé de scientifiques en herbe ressort vite dans ces conditions extraordinaires, et cette proximité presque irréelle nous permet de mettre en pratique nos acquis. On observe, on note, on tente de comprendre et surtout, on profite à fond de ce spectacle qu’on ne retrouvera pas de sitôt une fois de retour sur les sommets savoyards.

La plupart des informations proposées ici ont été trouvées sur le site du département de conservation (DOC) du gouvernement néo-zélandais. Les photos ont, pour la plupart, été réalisées à Cape Palliser et à Wharariki Beach. Si le cœur vous en dit, allez visiter ces côtes et plages parsemées de rochers à fourrure. Mais n’oubliez pas, les « kekeno » tiennent à leur sieste au moins autant que vous à vos photos.

5 commentaires sur “Kekeno, le Rocher à Fourrure

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