Tribulations Sauvages aux Quatre Coins du Monde
Hervey Bay, fin août. Depuis maintenant plus d’un mois, les sorties en mer se répètent dans la baie, l’équipage est fin prêt. Sur le pont, tout le monde s’active dans l’attente d’un indice, un signe à l’horizon.
L’expérience du capitaine ne fait aucun doute, il sait où attendre. Tous les yeux sont rivés sur l’entrée de la baie. C’est certain, elles arrivent, la grande traque peut commencer.
Chaque année, de juillet à novembre, les baleines à bosse croisent dans la baie. Elles font une halte durant leur impressionnante migration, des eaux chaudes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée aux eaux glaciales de l’Antarctique. Durant ce périple de plusieurs milliers de kilomètres, elles multiplient sauts et éclaboussures.
L’hypothèse de la communication à longue distance reste la plus envisageable pour expliquer ces comportements spectaculaires. En effet, les percussions engendrées à la surface peuvent porter sur plus de 4km.
« Là-bas ! », un bras se tend au-dessus de l’eau. A la barre, le capitaine fronce les sourcils, d’une abattée il change de cap et fait route vers le Nord. La vigilance des marins redouble, la tension s’installe sur le pont. Les mains se raidissent dans le vent salé. Dans les esprits, la quête du géant des mers prend forme. Le navire fend les eaux à la poursuite de la moindre silhouette troublant la quiétude de la baie.
« Un saut ! Saut à bâbord ! ». Une gerbe d’écume explose au-dessus du bastingage. L’animal, pourtant énorme, disparait aussitôt. Le capitaine multiplie les manœuvres, puis, finalement, décide de carguer les voiles et de tenter une dérive.
« Ici, de ce côté ! », une tête crève la surface à l’arrière du navire. Elle est si près que l’on peut distinguer les balanes logées sur le rostre. Trop tard pour se retourner. L’équipage court en tous sens, ils ne peuvent la laisser filer, pas cette fois !
La baleine à bosse mesure 13 à 14 mètres pour un poids moyen de 25 tonnes. La taille remarquable de l’animal attire les convoitises, notamment de nombreux parasites. Les balanes, poux ou lamproies utilisent volontiers ces cargos vivants pour se déplacer et se nourrir. Les acrobaties effectuées par les baleines pourraient également avoir pour but de se débarrasser de ces incommodants piques assiettes.
« Silence ! » jette le capitaine. « Elle est là… ». Pendant un instant, le doute envahi le cœur des chasseurs. Une ombre remonte doucement à la surface. Les longues nageoires pectorales laissent entrevoir une frange éclatante qui révèle la blancheur du ventre.
Plus que quelques centimètres avant que le dos, arqué, n’apparaisse au grand jour. Soudain, un geyser s’arrache des flots. « Souffle ! » hurle le capitaine.
A la proue, les doigts crispés du canonnier se resserrent sur la détente. « Maintenant ! », une rafale claque dans les airs…
« Alors mon gars ?! Tu l’as eue ? » questionne le capitaine. Le matelot acquiesce de la tête. L’équipage se rapproche de la proue pour admirer le travail de leur compagnon. « Magnifique ! Superbe ! Incroyable ! ». Les éloges pleuvent devant l’écran de l’appareil, un sourire illumine le visage du fortuné photographe. Pendant près de cinq heures l’histoire se répète. Tantôt timides, tantôt curieuses, jusqu’à cinq baleines viennent tournoyer autour du voilier. Pour ces matelots d’un jour, l’émotion est à son comble. Ils ont rencontré, nous avons rencontré, les géants de la mer.